Hyère : l'état reporte le projet de digue sous-marine à l'Almanarre
- petitprincebandol
- 15 sept. 2022
- 7 min de lecture

Digue sous-marine à Hyères: pourquoi ça coince?
À l’Almanarre l’an dernier, l’État a dépêché une mission pour accorder – ou non – le feu vert au projet de digue sous-marine face au tombolo ouest. Son rapport remet en cause l’opportunité du projet.
À l’Almanarre, l’état s’interroge sur l’opportunité du projet de digue sous-marine, porté par la Métropole, afin de protéger le tombolo ouest de l’érosion.
De part et d’autre de la presqu’île de Giens, deux visions se font face.
Il y a celle de la mairie d’Hyères (et de la métropole Toulon Provence Méditerrannée), qui prône l’installation d’une digue sous-marine à l’Almanarre pour protéger le tombolo ouest des larguades hivernales.
Puis, venue de Paris, celle de l’état, qui estime nécessaire d’évaluer les autres possibilités.
Voici les cinq grands points à retenir du rapport (récemment rendu public) de la mission de l’inspection générale des sites et paysages du Conseil général de l’environnement et du développement durable.
1. Le tombolo est instable
Toutes les cartes postales montrent un double cordon, mais les experts ont de la mémoire. "Les représentations cartographiques anciennes montrent que cela n’a pas été toujours le cas et que des brèches ont historiquement mis en relation la mer, à l’est comme à l’ouest, avec la vaste zone humide saumâtre enserrée entre eux", notent-ils.
2. La plage est victime de la route du sel
On pourrait penser que la route du sel favorise la stabilisation du tombolo. Le Conseil général de l’environnement et du développement durable a une autre lecture. "En "durcissant" le tombolo, (la route du sel) en a renforcé la fragilité (du cordon dunaire) face à l’érosion marine, phénomène désormais bien connu."
3. La rupture du cordon n’aurait rien de grave
Évacuant de ses préoccupations la préservation de la route du sel, la mission estime que "sous réserve d’analyses et de modélisations plus poussées, il est probable que la mise en communication de la mer avec les salins des Pesquiers, tout au moins son canal circulaire, si une brèche du tombolo se formait et persistait, pourrait faire évoluer l’équilibre écologique actuel sans toutefois modifier fondamentalement les paysages associés."
4. Lutter n’est pas la seule solution
Compte tenu de ces précédents points, et confiant que "l’érosion du trait de côte dans le département du Var et l’évolution de l’aménagement de la frange du littoral constituent des enjeux majeurs pour les années à venir", la mission estime qu’il est nécessaire "d’avoir une approche différente de cette évolution naturelle qui ne peut se résumer à la seule solution de lutter."
5. TPM n’a pas tout étudié
Et si on ne fait rien, que se passe-t-il? Estimant la réponse évidente, TPM a oublié de documenter cette question, selon la mission qui s’étonne de ne pas avoir vu de "scénario de référence". Elle réclame une "étude des données historiques voire d’une modélisation physique, seule façon d’évaluer in fine" la pertinence d’un besoin de protection. Elle déplore qu’ait aussi été oubliée l’étude d’impact d’une digue sur les herbiers de posidonie.
Les 5 événements historiques qui ont accentué l’érosion
Dans leur rapport, les experts soulignent que "différents événements et interventions historiques ont conduit (...) à l’aggravation des phénomènes d’érosion du tombolo ouest".
Ils citent chronologiquement:
- "la dérivation naturelle de la rivière Gapeau à l’origine d’un déficit sédimentaire sur la zone";
- "les prélèvements de sédiments sur la plage pour des chantiers de construction, dont celui du port de Toulon, entre les années 1809 à 1900";
- "la dérivation de la rivière Roubaud en 1822, supprimant tout apport sédimentaire naturel d’origine terrestre";
- "l’aménagement du marais des Pesquiers en salines en 1848-1849, empiétant sur le cordon dunaire au nord";
- "la création de la route du sel en 1969 sur la dune littorale, aggravant la coupure du fonctionnement hydro-sédimentaire".
La route qui divise
Avec ce rapport, la question a reculé de quelques mètres. Le point de discorde entre État et collectivités locales ne porte en fait plus tant sur la plage que sur la route du sel.
L’inspection des sites estime en effet clairement que la question qui lui était posée était biaisée dès le départ. "Il apparaît clairement à la mission que la protection projetée du tombolo ouest est avant tout justifiée par la volonté de préserver la route du sel dont on sait pourtant que la présence, récente historiquement, ne fait qu’aggraver la fragilité du tombolo, en empêchant ce dernier de “respirer” et de s’adapter naturellement aux phénomènes d’érosion et d’élévation du niveau marin."
De son côté, même si elle se dit favorable à la limitation du trafic et du stationnement sur la route (une des axes de l’Opération grand site), la mairie ne peut imaginer - y compris pour des raisons de sécurité - une presqu’île desservie par une unique voie de circulation.
La ville annonce consacrer en moyenne 500.000€ par an à la réparation des dégâts afin de rouvrir la route du sel avant la belle saison. Photo archives L. B..
Les associations écolos se mouillent pour la digue
Habituellement promptes à rugir dès qu’un projet de modification du milieu naturel fait surface, diverses associations de protection de l’environnement s’inquiètent pour l’avenir du tombolo et refusent de laisser faire la nature.
Le réseau Varnat (qui depuis 2021 réunit par exemple la Ligue de protection des oiseaux, l’association Expertise écologie éducation à l’environnement ou Forêt modèle de Provence) estime par exemple que "laisser la houle venue du sud-ouest couper la route du sel serait une erreur car l’érosion de la route, de la dune et de la plage bouleverserait la faune et la flore de l’étang des Pesquiers qui sont indispensables à la nourriture des oiseaux migrateurs qui y font escale annuellement."
"En outre, cette rupture de la route abaisserait l’efficacité de la lutte contre les incendies sur la presqu’île de Giens et à terme pourrait entamer l’amincissement du tombolo oriental qui porte le hameau de la Capte et surtout une biodiversité également incroyable."
Plus précise encore, l’ASNAPIG (Association pour la sauvegarde de la nature dans la presqu’île de Giens) milite pour la digue. "Il ne faut pas oublier que c’est l’action humaine qui a modifié l’équilibre du double tombolo, curiosité naturelle rarissime qui fait partie de l’identité et de la richesse du Var, et qu’il serait logique que l’action humaine tende à corriger ce déséquilibre", assure son président dans un courrier transmis en juillet au préfet.
"Dès lors que cinquante études ont reconnu l’impossibilité scientifique d’effectuer une modélisation rendant compte de façon certaine des conséquences à long terme des différents dispositifs techniques envisagés, il est contre-productif de continuer à faire des études et il est temps de réorienter les efforts et les dépenses vers la mise en œuvre d’une solution concrète prometteuse, quitte à faire preuve de résilience en adaptant et améliorant au fur et à mesure le dispositif choisi", conclut l’association.
"Je ne serai pas le maire qui laissera amputer le tombolo"
Questions à Jean-Pierre Giran, maire d’Hyères.
Votre dernière intervention médiatique sur le tombolo remonte au mois de mars. Vous dénonciez les conclusions du rapport. Que s’est-il passé depuis?
Malheureusement, les choses n’ont pas beaucoup bougé depuis. La préfecture, comme le ministère, nous dit de faire quelques études complémentaires. On va les faire, notamment sur le scénario de référence. C’est-à-dire, décrire ce qui se passera si rien n’est fait. J’attends une réunion très prochaine avec TPM pour définir précisément le type d’études à lancer. La mission assure que la route du sel accentue l’érosion et déplore que vous n’ayez pas étudié la possibilité de la condamner...Ce n’est pas la route du sel qui crée l’érosion! L’érosion, elle vient de la mer. Alors évidemment, quand tu as une philosophie de retour à la nature tu supprimes la route et tu laisses la mer aller dans les salins. C’est facile!
Mais pourriez-vous envisager de renoncer à la route du sel comme le suggère la mission?
Non. Elle est indispensable. Il y a le problème écologique, mais il y a aussi la sécurité de Giens à assurer, la biodiversité des Salins à protéger ou l’image d’Hyères à sauvegarder. On ne peut pas fonctionner avec une seule route sur la presqu’île, c’est tout simplement impossible. La route du sel existe depuis des dizaines d’années. Il faut casser l’érosion, pas la route.
Craignez-vous que ce rapport enterre le projet de digue sous-marine?
Non, la digue n’est pas enterrée... mais on nous demande quelques précisions et démonstrations supplémentaires. On est plein de bonne volonté... mais on est un peu fatigués. En tout cas, je n’imagine pas que rien ne puisse être fait et je ne vois pas d’autre solution que celle de la digue. En tout cas, je ne serai pas le maire qui laissera amputer le tombolo.
Le dossier en dates
2017: TPM demande au cabinet Artelia une étude sur les mesures à prendre pour protéger le tombolo ouest de l’érosion.
2018: parmi les solutions proposées par le cabinet (le comblement de la brèche sous-marine, le comblement des fosses et de la brèche, la construction d’une digue sous-marine), TPM opte pour la digue. Elle doit mesurer 450m de long et 10m de large et être posée à 150m de la partie nord du tombolo, culminant à 1m sous la surface. La métropole prévoit d’y consacrer 2,5 ME. Elle doit recevoir le feu vert de l’État.
2019: au ministère de la Transition écologique, la commission supérieure des sites examine le dossier et demande qu’une inspection générale pluridisciplinaire expertise les différentes solutions.
Juillet 2021: l’inspection générale des sites et paysages du Conseil général de l’environnement et du développement durable est saisie du dossier.
31 août puis les 27 et 28 septembre 2021: la mission vient à Hyères examiner le site.
Décembre 2021: le rapport est transmis aux élus.
Mars 2022: à TPM, Jean-Pierre Giran et Hubert Falco dénoncent les conclusions du rapport qui demande de nouvelles études et met en doute l’intérêt de protéger le tombolo. "À la question comment protéger le tombolo, l’état répond par la question: faut-il le protéger?", rugit le maire d’Hyères. S’estimant paralysé et regrettant la perte de temps, il demande au préfet quelle étude complémentaire initier.
8 juillet 2022: le rapport est mis en ligne et consultable sur www.vie-publique.fr.
Comentários