Toulon : les Oreilles d'Or de la Marine sont l’assurance vie des sous-marins
- petitprincebandol
- 3 juil. 2022
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Rencontre avec deux analystes en guerre acoustique, parés à plonger pour leur toute première mission en tant qu’oreilles d’or.
Ils ont des bruits de la mer plein la tête. Cinq mille exactement, comme le nombre de sons que ces jeunes analystes ont dû écouter - "deux fois!" - et apprendre à reconnaître entre tous au sein du Centre d’interprétation et de reconnaissance acoustique (Cira).
En une année de formation intensive au cœur du port militaire de Toulon, Kevin et Luc, respectivement 32 et 36 ans, sont ainsi devenus des "oreilles d’or", métier de la Marine nationale popularisé par le film Le Chant du loup.
Dans quelques heures, ils embarqueront, l’un sur le sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) Casabianca, l’autre sur le Suffren.
Là, casque sur la tête et chrono en main, concentrés à l’extrême dans l’obscurité du "CO", ils seront chargés de détecter, analyser et classifier la moindre fréquence perceptible dans l’immensité des profondeurs.
Une mission cruciale à bord de bateaux noirs "aveugles" par essence, mais à l’ouïe acérée.
La technologie ne remplace pas l’oreille humaine
"Le monde du silence n’existe pas ; c’est même un milieu très bruyant, sourit Kevin. Sous l’eau, on entend la pluie ou les phénomènes géologiques par exemple, mais aussi des bateaux et du biologique évidemment.
"Différencier le "tic" du cachalot d’un petit bruit échappé d’un sous-marin russe ne coule pas de source, même pour ces experts.
Comme le fait de distinguer certains tourbillons naturels du système de propulsion d’une frégate chinoise.
C’est là la mission des tympans les plus précieux de l’armée française, qu’ils effectuent assistés par la technologie et l’intelligence artificielle… mais pas encore remplacés.
"Il n’y a rien de plus subtil qu’un son. Quand l’analyseur sature, l’oreille humaine prend le relais" assure Luc. La leur n’est pas absolue non plus. "Tout ce qu’on sait, on l’a appris en s’entrainant huit heures par jour, poursuit l’ancien timonier. Discerner un porte-conteneurs ou un navire militaire ne fait pas de moi un grand musicien!"
Mais un oiseau rare, oui. Au total, la Marine ne compte guère plus d’une quarantaine d’analystes en guerre acoustique, lesquels opèrent en binôme pour assurer la permanence du poste.
Ces marins expérimentés servent sur certaines frégates lors de missions de lutte sous la mer, sur les SNA donc, mais aussi les Sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE). Avec des nuances de taille, comme le résume Luc: "Un SNLE cherche à se cacher au maximum, tandis que le SNA va souvent là où il y a du bruit…"
Pour l’un comme pour l’autre, la discrétion acoustique fait figure d’assurance vie. "Contrairement à ce qu’on pourrait croire, un banc de crevettes est beaucoup plus bruyant qu’un sous-marin", expose Kevin, rappelant qu’à bord des submersibles, le vacarme est proscrit.
Cela va des panneaux de prévention posés dans les coursives - "Ne pas claquer les portes. 20 dB" - jusqu’à la conception ultra-secrète des bâtiments. Même à 350 mètres sous la surface, le moindre son est susceptible de faire repérer un bateau, et le rendre aussitôt vulnérable.
Les architectes navals rivalisent ainsi d’ingéniosité pour limiter au maximum les signatures acoustiques, voire leurrer l’ennemi.
"Parvenir à utiliser un jour la modulation du chant de la baleine pour y glisser une onde sonar pourrait être une évolution intéressante ", imagine le capitaine de frégate Vincent Magnan, directeur du Cira. Les sous-marins n’ont pas fini de se reposer sur leurs deux oreilles.
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