VAR : La vie dans les plus beaux villages de France a aussi son lot de nuisances
- petitprincebandol
- 12 juin 2022
- 8 min de lecture

Le Var compte quatre communes ayant ce label: Gassin, Tourtour, Seillans et Bargème. Il y fait bon vivre mais les maux du siècle arrivent jusqu’à ces paradis.
Vivre à Bargème, Seillans, Gassin, Tourtour, n’est pas donné à tout le monde. Ces quatre communes sont classées parmi les Plus beaux villages de France, en raison de leur bourg ancien, perché au sommet d’une colline et comptant plusieurs monuments historiques. Toutes profitent de ce label, qui attire des touristes en toutes saisons, et énormément en été.
Mais le calme et la beauté ont un prix! Il y a les plus - très nombreux - mais aussi des moins - souvent lourds.
Les MacGyver de la gestion communale
Des moins qui obligent les maires à jouer les MacGyver au quotidien, dans leur gestion communale, mais aussi avec l’État, la Région, le Département et leurs satellites. Sans cesse, ils doivent inventer les solutions pour attirer et maintenir une population à l’année, trouver des financements, préserver leurs cadres idylliques et leurs monuments, tout en évoluant.
Leur sort est inégal et les défis permanents.
Le premier d’entre eux: installer une population active, à l’année - de préférence avec des enfants - tout en gardant leur âme. Ce n’est pas facile, même à Gassin, à cause de sa proximité avec Saint-Tropez, qui fait monter les prix de l’immobilier", explique la maire Anne-Marie Waniart. Pourtant, contrairement à d’autres, la ville dispose de tous les services : collège, lycée intercommunal, hôpital, clinique. Mais pas de médecin.
Bargème achète, retape et loue les vieilles demeures pour maintenir une population à l’année. Photo Var-matin.
Une heure pour se rendre au lycée
Pour maintenir des actifs sur sa commune, la municipalité avec l’aide de l’Établissement public foncier, a permis la construction d’habitations de type 3 ou 4, avec garage et petits jardins. Ces maisons ont été vendues à des primo-accédants, entre 180.000 et 220.000 euros, à condition qu’ils y restent dix ans.
Une partie a été consacrée à des logements sociaux collectifs pour mixer la population, même si Gassin, qui compte moins de 3.500 habitants, n’a pas obligation de les prévoir.
Le golfe de Saint-Tropez fait rêver le monde entier, néanmoins Gassin a du mal à recruter un chef de la police municipale et un directeur des services techniques.
À Tourtour, il manque une dizaine de familles pour que l’avenir de l’école soit assuré. À Seillans, les lycéens ont une heure de bus pour aller étudier au Muy. Et autant pour le retour! La construction d’un lycée à Montauroux est attendue depuis des années, avec impatience. "Pas assez d’effectifs, selon le rectorat. Nous, on n’a pas les mêmes chiffres. On attend que la Région le programme", explique le maire de Seillans, René Ugo.
La municipalité de Bargème, comme Gassin, Seillans et Tourtour, achète et retape des maisons dans le vieux village pour les louer à une population qu’elle veut sédentariser. Dans l’ancienne école, elle a installé une crêperie. "On ne veut pas devenir un village dortoir", insiste le maire Jacques Gérard.
Elsa Leroy, sculpteur sur ardoise, a bénéficié de ce programme d’achat-réhabilitation-location. C’est ainsi qu’elle a installé son atelier, son domicile et sa galerie sur les trois étages d’une ancienne bâtisse.
"Tout le monde se connaît"
Elle compte donc parmi les onze habitants qui vivent dans le silence des vieilles pierres. Les 150 autres Bargémois, dont de nombreux éleveurs et agriculteurs, sont installés dans les hameaux de la plaine.
La solitude? Elsa Leroy ne connaît pas. "C’est vrai qu’il faut un tempérament solitaire, sinon cela devient vite une prison. Mais je pense qu’il y a plus de personnes seules dans les grandes villes. Ici tout le monde se connaît. Il y a toujours des gens qui visitent le village." Et découvrent sa galerie, rue de l’amitié.
Urbanisme, commerces, budgets : la galère !
1. A Gassin, un café sinon rien
Que ce soit Gassin, Bargème, Seillans ou Tourtour, ces villages s’endorment durant les mois d’hiver. À Gassin, les restaurants et bistrots ferment pour ne rouvrir qu’au printemps. C’est ce qui a conduit Serge Vota à créer le Café Perché, un café associatif où 25 adhérents se relaient pour accueillir la clientèle, en dehors de la grande saison.
L’adhésion est à 10 euros pour l’année. Ce qui donne droit par exemple, au café à 1 euro. Pour les visiteurs c’est 50 centimes plus cher. Le bistrot fait aussi de la petite restauration, avec un repas simple à 6 euros.
"Je me baladais dans le village et les gens me demandaient où ils pouvaient boire un coup. Je leur disais d’aller à Saint-Tropez ou la Croix-Valmer, car tout était fermé à Gassin." Le Café Perché se met en vacances en juillet et août quand les établissements du vieux village sont tous ouverts pour accueillir les touristes en masse.
Le calme hors saison ne gêne pas Serge Vota, mais il apprécierait quelques boutiques artisanales en plus, et ouvertes à l’année. Le vieux village a quand même sa supérette - qui fait aussi office de Poste - installée dans un local communal, une crèche. "C’est un village addictif. On vient et on n’arrive plus à décrocher. J’ai acheté pour la tranquillité de l’œil et de l’âme."
Là-haut, dans ce panorama à 360 degrés sur la mer, les vignobles et la forêt, seule une "délinquance opportuniste" comme l’appelle Serge Vota, trouble la paix. "Les Porsche, Ferrari, Rolls...attirent des convoitises sur les parkings." Mais rien de tout cela ne le fera partir.
2. Budget gonflé avec les résidences secondaires
L’argent n’achète pas tout. Malgré ses 20 millions de budget cette année, Gassin a les mêmes problèmes que les autres petites communes, bien moins riches. Notamment celui du logement. Les 60% de résidences secondaires - contre 40% de résidences principales - ont l’avantage de gonfler le budget, grâce aux droits de mutation que la commune encaisse chaque fois qu’il s‘en vend une, et "le turnover est important".
3. Cumul de lois
"Loi Littoral, loi submersion marine, inondation, feux de forêt, espèces protégées, tortues, petites fleurs..." Les contraintes que doit respecter le Plan local d’urbanisme (PLU) de Gassin sont multiples. Difficile de trouver des terrains constructibles notamment pour les logements sociaux.
"Je souhaite construire des logements pour la population active et les saisonniers. Je voudrais réduire le nombre de résidences secondaires. Le problème c’est qu’il n’y a plus de terrains constructibles. C’est pour cela que le PLU est en révision", explique la première magistrate. Le sport local est désormais d’acheter des villas, de les raser et de tout reconstruire. Faute de terrains constructibles, c’est le seul moyen d’avoir du neuf.
À Bargème, le maire Jaques Gérard n’a pas de document d’urbanisme. "On est sur un règlement national d’urbanisme, car le village est entièrement classé au titre des monuments historiques et sites patrimoniaux, avec une zone de 200 hectares autour du village pour le protéger."
Construire ? Mission impossible donc, sans compter que le village est aussi soumis à la loi montagne. La demande sur l’immobilier est forte, les prix exorbitants. La seule solution c’est de reconstruire les ruines.
Partir ou rester: le dilemme de l’âge
Ces petits paradis attirent nombre de jeunes retraités, qui y emménagent sur un coup de cœur ou veulent un retour aux sources. Mais quand arrive la grande vieillesse, il faut partir ou miser sur la solidarité de la commune. À Tourtour, un employé communal accompagne les personnes âgées jusque chez les médecins spécialistes, à Draguignan, ainsi qu’à la pharmacie.
"L’humain compte. Il faut rendre service", souligne le maire Alain Brieugne. Il aimerait qu’un Ehpad ouvre dans sa commune, la zone est déjà réservée au Plan local d’urbanisme (PLU). Cela créerait des emplois. Le plus proche est à Salernes.
Seillans est le village le mieux doté avec un dentiste, un pharmacien, un médecin, un kiné, une orthophoniste et même un vétérinaire. Cela tient du miracle! Et il ne va pas s’arrêter là: "On est en train de créer une structure de coordination médicale au niveau de la Communauté de communes du Pays de Fayence."
Gassin cherche désespérément un médecin. La municipalité propose maison et local à celui qui se présenterait. Elle confie aussi à un employé municipal, plusieurs services aux personnes âgées.
Il leur rend visite à domicile, les appelle régulièrement, les conduit en minibus jusqu’à la pharmacie. Durant la Covid, il leur déposait même à la maison, les commissions. "Dès qu’il y a un problème on le sait. Ici ce n’est pas la ville. Même les voisins nous informent quand il y a un souci avec une personne âgée", explique la maire.
Marie-Noëlle Dupuy s’est décidée à l’heure de la retraite, à quitter la région parisienne, pour s’installer dans le vieux village de Seillans, avec ses ruelles sans voitures, tant elles sont étroites. À 67 ans, la marche à pied ne lui fait pas peur, même si ça monte beaucoup.
Cette ancienne informaticienne venait en vacances dans le secteur et finalement c’est cette petite commune de 2.700 habitants, dont 500 dans sa partie ancienne, qui l’a emporté. "L’avenir? Je ne sais pas ce que je ferai. Pour l’instant tout va bien. Je me rapprocherai peut-être de Saint-Raphaël, où il y a l’hôpital." En attendant, le pôle médical à l’entrée de la commune, dans la plaine, est essentiel pour maintenir une population.
Marie-Noëlle Dupuy assure la présidence de l’Amitié seillanaise, qui compte nombre d’adhérents originaires de la commune. Pour avoir discuté avec eux, elle sait que l’âge ne les fera pas partir. En attendant, elle part avec son club jusqu’à Cannes au théâtre ou même à Monaco, et retrouve avec plaisir la beauté provençale de son village. Elle aime son calme. Marie-Noëlle Dupuy espère juste que La Poste ne disparaîtra pas.
Tourtour a perdu la sienne mais la municipalité a engagé des travaux dans le château communal, où se trouve la mairie, pour y installer bientôt une agence postale. La présence de services publics est une des conditions au maintien de la population dans ces villages.
À Bargème, Sandrine ne trouve pas de médecin
Le désert médical, c’est ce qui gêne le plus la jeune Sandrine à Bargème. Le médecin, qui était celui du canton, basé à Comps, est parti il y a plusieurs mois. Sandrine vient d’ouvrir Le Bercail, un charmant petit restaurant, dans une maison appartenant à la commune.
Elle y sert sa charcuterie, et des produits locaux, depuis la bière jusqu’au fromage. "J’ai trois enfants. Il n’y a pas de médecins à moins de 30 kilomètres et quand on en trouve un, il ne prend pas de nouveaux patients."
L’éloignement et un sentiment de solitude font-ils peur au point de rebuter ceux qui ont fait le serment d’Hippocrate.
"L’État est une forteresse"
"La mairie, c’est la proximité avec les habitants, insiste René Ugo, le maire de Seillans. Il faut offrir des services de bonne qualité car les nouveaux venus sont habitués à un niveau de service urbain."
Il le dit clairement: "Il manque de moyens financiers." La faute à la Dotation globale de fonctionnement qui n’a cessé de baisser, notamment sous le gouvernement Hollande.
On est passé de 400.000 euros à 100.000 euros, explique-t-il. Et les 400.000 euros que touche à présent la communauté de communes du Pays de Fayence, qu’il préside, ne compensent pas la perte.
"On a l’impression que l’État est une forteresse. Il est dans un schéma de pensée et ne voit pas la réalité du terrain. Je parle de l’administration centrale, de l’État centralisateur, qui n’est pas au rendez-vous des besoins."
D’une manière plus générale, il voudrait que les contraintes administratives soient allégées. Les normes, les règlements complexifient les dossiers.
L’Europe c’est un monde "trop compliqué" et l’information ne circule pas assez entre la Région, qui est son relais, et l’intercommunalité. Seillans vit du tourisme, des résidences secondaires et des visiteurs étrangers, qui ont un pouvoir d’achat important.
Ce maire sans étiquette, veut renouer avec les traditions, l’implication des habitants. Il veut plus de citoyenneté et de civisme.
"La mairie est la dernière roue de la charrette, se désole Jacques Gérard, le maire de Bargème, tout en reconnaissant que Dracénie Provence Verdon Agglomération, apporte son soutien aux gros projets. Il faudrait être plus aidé."
Le budget communal est de 800.000 euros. Cela inclut la Dotation globale de fonctionnement versée par l’État. Elle n’a pas baissé mais n’est pas suffisante. "Avec ça on ne peut pas être trop gourmand sur les investissements."
Ce village si peu peuplé avait ses troupes gilets jaunes, qui allaient manifester au Logis du Pin, petite bourgade des Alpes-Maritimes.
Au début surtout pour la hausse du prix de l’essence, mais après le ras-le-bol et la politique s’en sont mêlés.
Les électeurs ont voté à 59% pour Marine Le Pen, contre 40% pour Emmanuel Macron au second tour de la présidentielle.
"C’est un ressenti national, par rapport à l’État", commente Jacques Gérard.
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